Face
à la pandémie actuelle de la COVID-19, au chaos climatique, à
l'augmentation de la faim et de toutes les formes de malnutrition, à
la destruction écologique et aux multiples crises humanitaires,
nous,
mouvements sociaux, organisations de peuples autochtones,
organisations non gouvernementales et milieux universitaires,
affirmons notre engagement en faveur de la souveraineté alimentaire
et rejetons la colonisation actuelle des systèmes alimentaires et de
la gouvernance alimentaire par les entreprises, avançant sous la
bannière du Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires
(UNFSS).
Les
systèmes alimentaires industriels, les chaînes d'approvisionnement
mondiales et le contrôle croissant des entreprises sur la
gouvernance alimentaire sont responsables des menaces auxquelles sont
confrontées nos populations et notre planète, des menaces
inextricablement liées entr'elles et ayant un caractère
existentiel, notamment la crise climatique, la déforestation, la
perte de biodiversité, la dégradation des terres et des océans, la
pollution de l'air et de l'eau, la faim, la marginalisation et
d'innombrables violations des droits humains. Un modèle de
développement prédateur, centré sur le contrôle des ressources,
la mainmise sur les débats politiques et l'influence des
réglementations par les entreprises a engendré un système
alimentaire mondial qui abandonne encore aujourd'hui plus de deux
milliards de personnes à la faim, la malnutrition et la misère
économique. De plus, les produits industriels ultra-transformés
sont la cause de la malnutrition, de maladies non transmissibles
liées à l’alimentation et de l'obésité.
La
pandémie de la COVID-19 continue de révéler les faiblesses
structurelles et les inégalités mondiales de cette approche basée
sur le marché et contrôlée par les entreprises - un modèle en
échec qui perdure en raison de profondes asymétries de pouvoir et
d'un manque de responsabilité politique qui permettrait de garantir
que les institutions et les politiques publiques servent le bien
public et répondent aux demandes et aux besoins des plus
vulnérables. Des actions politiques urgentes, depuis le niveau local
jusqu'au niveau international, fondées sur la négociation
démocratique et la recherche d'un consensus politique, sont
nécessaires pour remédier aux inégalités croissantes entre les
pays et au sein de ceux-ci, à l'injustice structurelle, à la
violence fondée sur le genre et aux déplacements forcés. Le statu
quo est une option tout simplement invivable pour la majorité de la
population mondiale, et non viable pour nos jeunes et les générations
futures. Nous ne pouvons pas continuer à détourner la plus grande
partie des ressources publiques et les efforts des autorités
institutionnelles vers le soutien à des fausses solutions qui ne
font que servir les intérêts des entreprises et ne parviendront pas
à relever ces défis mondiaux systémiques.
La nécessité d'approches fondées sur les droits pour lutter contre
les crises
La
seule façon juste et durable d'aller de l'avant est de stopper et de
transformer immédiatement les systèmes alimentaires mondialisés et
contrôlés par les grandes entreprises. La première étape sur
cette voie consiste à reconnaître pleinement, à mettre en œuvre
et à faire respecter le Droit à une alimentation adéquate, qui
relève d'une obligation des États et des agences des Nations Unies
en matière de droits humains1.
Reconnu comme un droit fondamental, le droit à une alimentation
adéquate est indissociable d'autres Droits humains fondamentaux,
tels que le Droit à la santé, le Droit au logement, le Droit à des
conditions de travail sûres, le Droit à des salaires décents, le
Droit à la protection sociale, les Droits des femmes et des
personnes LGBTQIA+, le Droit à un environnement propre, les Droits
civils et politiques, y compris le Droit à la négociation
collective et le Droit à la participation politique, qui devraient
être collectivement au cœur de tout processus de transformation.
Cette orientation critique fondée sur les droits oblige la politique
publique et la gouvernance en matière de systèmes alimentaires à
placer les paysans, les peuples autochtones, les pêcheurs, les
éleveurs, les travailleurs, les sans-terre, les habitants des
forêts, les consommateurs, les populations précaires urbaines et
dans les campagnes, et parmi celles-ci les femmes et les jeunes, au
centre de la gouvernance et des processus de décision. Les
gouvernements, ainsi que les institutions régionales et
internationales, doivent soutenir les voies empruntées par ces
groupes pour transformer les systèmes alimentaires contrôlés par
les entreprises à travers les méthodes et pratiques de
l'agroécologie et de la souveraineté alimentaire. Nous rejetons
tout processus de dialogue coquille vide qui ignore les Droits
humains et ne parvient pas à mettre en avant de manière explicite
et significative la capacité d'agir de ces acteurs des systèmes
alimentaires.
Le sommet UNFSS : une prétention multipartite illégitime qui renforce
encore le pouvoir des entreprises
Le
Sommet UNFSS 2021, lancé par le Secrétaire général de l'ONU peu
de temps après avoir signé un accord global avec le Forum
économique mondial (FEM), ne répond pas à aux exigences
fondamentales énoncées plus haut. Fondé par mille des plus grandes
entreprises du monde, le FEM et ses instances contrôlent la
conception, la structure, les processus, la gouvernance et le contenu
du Sommet. Les grandes entreprises multinationales infiltrent de plus
en plus les espaces multilatéraux des Nations Unies pour coopter le
récit de la durabilité et le détourner afin de réorienter vers la
légitimation de la poursuite de l'industrialisation à travers les
technologies numériques et les biotechnologies, l'extraction des
richesses et l'exploitation de la main-d'œuvre des communautés
rurales ainsi que la concentration du pouvoir des entreprises dans la
gouvernance nationale et mondiale. Le programme, essentiellement
centré sur le capital et la technologie proposé par le Sommet UNFSS
reflète ces intérêts corporatifs et est politiquement,
socialement, économiquement et écologiquement néfaste. Nous
dénonçons le Sommet UNFSS 2021 qui ne tient pas compte du besoin
urgent de s'attaquer aux déséquilibres de pouvoir flagrants que les
entreprises détiennent sur les systèmes alimentaires et sur cet
événement de l'ONU, et nous rejetons les fausses solutions qui
continuent et continueront à opprimer et à exploiter les personnes,
les communautés et les territoires.
Au
lieu d'être fondé sur les Droits humains, le Sommet UNFSS est un
forum multipartite dans lequel tous les acteurs, qu'il s'agisse de
gouvernements, d'individus, d'agences régionales/internationales ou
de représentants d'entreprises/corporations, sont présentés comme
ayant une participation à titre égal. Mais les parties prenantes ne
sont pas nécessairement des détenteurs de droits : les droits et la
souveraineté des personnes et des communautés ne doivent pas être
confondus avec les intérêts commerciaux du secteur privé. Alors
que la majorité de l'alimentation dans le monde est produite par des
petits producteurs et des travailleurs à petite échelle, ce
processus multipartite individualisé donne un pouvoir démesuré à
quelques sociétés puissantes qui contrôlent les marchés
alimentaires, agricoles et financiers. Le soi-disant groupe
scientifique du Sommet UNFSS appauvrit la base scientifique
nécessaire à l'élaboration de politiques responsables : il avance
des récits à vision restrictive, soutenus par les entreprises, et
exclut la diversité des formes de connaissances et de domaines
d'expertise tels que l'agroécologie, les connaissances autochtones
et les Droits humains. L'absence de garanties adéquates en matière
de conflits d'intérêts dans les processus du Sommet a permis à des
coalitions dirigées par des entreprises de se positionner comme
agents de mise en œuvre de politiques publiques, utilisant des
ressources publiques, mais sans pour autant se soumettre aux
mécanismes de redevabilité, aux mandats et aux normes de
transparence des institutions publiques.
Nous
n'accepterons pas ce processus de délibérations vertical, non
transparent et inégal qui a abouti à des « coalitions
d'action » avant tout favorables aux entreprises. Les
technologies et les produits exclusifs à forte intensité de capital
proposés comme étant des « solutions pour changer la donne »
seront écologiquement destructrices, renforceront l'extractivisme,
le colonialisme, le patriarcat et les inégalités, et ouvriront de
nouveaux domaines à l'expansion et au contrôle des entreprises.
L'échec
de la structure de gouvernance du Sommet UNFSS a été mis à nu, car
de nombreuses « parties prenantes » se retirent désormais
du processus et aucun consensus politique n'a été atteint parmi les
États membres de l'ONU pour des voies véritablement
transformatrices afin d'atteindre les objectifs de l'Agenda 2030.
Dans ce contexte, nous trouvons inacceptable que le Sommet UNFSS, en
tant que processus non normatif doté d'une structure de gouvernance
illégitime, tente d'empiéter et de saper le rôle du Comité de la
sécurité alimentaire mondiale (CSA) des Nations Unies, qui est un
système intergouvernemental, et qui représente l'organe
multilatéral des Nations Unies le plus important et le plus inclusif
en matière de gouvernance alimentaire, doté de l'autorité et de la
légitimité nécessaires pour mener des dialogues sur les systèmes
alimentaires et élaborer des politiques. Le Sommet UNFSS ne dispose
pas de cette autorité et viole le mandat et les statuts du CSA
réformé. Nous demandons que la vision inclusive et les processus du
CSA soient reconnus et renforcés. Nous rappelons également aux
dirigeants de l'ONU que le Sommet UNFSS n'est porteur d'aucun mandat
ni légitimité au-delà du 23 septembre 2021, et nous exhortons nos
gouvernements à défendre le multilatéralisme et l'élaboration de
politiques fondées sur les droits et la participation, tels
qu'établis par les États membres du CSA concernant les règles de
participation des organisations de la société civile et des
mouvements sociaux.
Souveraineté
alimentaire pour la transformation du système alimentaire
La
lutte pour des systèmes alimentaires durables, justes et sains ne
peut être dissociée des réalités des peuples dont les droits, les
connaissances et les moyens de subsistance n'ont pas été reconnus
ni respectés. Nous disposons d'ores et déjà de solutions viables
pour résoudre les problèmes systémiques de nos systèmes
alimentaires. Comme nous l'avons demandé dans notre Réponse
autonome des peuples au Sommet des Nations Unies sur les systèmes
alimentaires,
la transformation des systèmes alimentaires doit être écologique
et sociale, en mettant en avant une vision féministe de l'égalité
et de la justice. Depuis 1996, les mouvements sociaux et la société
civile ont construit un mouvement mondial et des processus de
gouvernance communautaires autour de la vision de la souveraineté
alimentaire, basée sur l'agroécologie, et des droits et aspirations
des petits producteurs alimentaires, des travailleurs, des peuples
autochtones, des femmes, des jeunes et des communautés rurales et
urbaines.
En ce 25e anniversaire de la souveraineté alimentaire, nous réaffirmons notre unité et notre engagement à faire pression pour la mise en œuvre de stratégies radicalement transformatrices, qui reconnaissent les besoins des peuples, accordent la dignité, respectent la nature, placent les personnes au-dessus des profits, résistent à la mainmise des entreprises et travaillent collectivement vers un système alimentaire juste et décent pour tou.te.s.
Cette déclaration est également disponible en anglais, espagnol, portugais, basque, arabe, grec et bangla.
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